Avant même de commencer d’écrire la moindre ligne de cette chronique, je vois déjà les noms d’oiseau tels que « narrativiste » poindre à l’horizon…
Ce n’est pas du jeu de rôle
L’année passée, j’ai participé à un concours de création de jeu de rôle car je voulais un avis extérieur sur quelques idées qui me trottaient dans la tête depuis quelques temps. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir l’appréciation de l’un des juges : « Ce n’est pas du jeu de rôle » . J’avais certes fait le choix d’un système sans meneur de jeu mais pour le reste, je n’arrivais pas à saisir ce qui disqualifiait ma création aux yeux de cette personne.
Pour m’être déjà posé la question, définir le jeu de rôle est un exercice périlleux qui déchaîne les passions et ne me semble plus être possible tant le médium a évolué depuis sa création : tous les jeux pratiqués à l’heure actuelle ne sont pas des clones actualisés du tout premier Dungeons&Dragons, loin s’en faut. Alors comment se fait-il que cette affirmation péremptoire ressurgisse à intervalle régulier dans les cercles rôlistes ?
Selon mes observations (qui valent ce qu’elles valent, je n’ai pas appliqué un protocole scientifique pour mes analyses), les rôlistes ont une définition du jeu qui correspond à leur pratique personnelle, présente ou passée, et ils appliquent cette grille de lecture à leur passion sans se rendre compte de la subjectivité (voire de l’arbitraire) d’une telle démarche. A leur décharge, il n’existe pas d’autorité faisant foi dans ce domaine, ce qui n’est pas un mal pour la liberté créative.
Quand on m’oppose cette fin de non-recevoir, je demande sur quels critères mon contradicteur se fonde pour appuyer ses dires. Le type d’argument qui revient le plus souvent concerne le game design : absence de meneur ou de dés, utilisation systématique d’accessoires de jeu (cartes, figurines, plateau…) ou d’ambiance, assistance numérique, formalisation et/ou ritualisation du temps de paroles et j’en passe.
Il m’est difficile de prendre au sérieux ce genre d’explications, d’autant plus que ce genre d’éléments de jeu se retrouve en pratique sur de nombreuses tables, sans que personne n’y trouve rien à redire. Pourquoi donc ces mêmes éléments deviendraient-ils indésirables une fois intégrés officiellement dans le cœur d’un système ? On trouve pourtant de nombreux articles vantant les mérites de ces techniques pour varier les plaisirs…
Plus rarement, certains jeux sont attaqués car ils ne respecteraient pas l’un des éléments constitutifs des jeux de rôle, comme le fait de jouer… un rôle. Sous prétexte que les joueurs n’incarnent pas le même personnage d’une session (voire d’une scène) à l’autre, qu’ils s’approprient plus que le contrôle de leur(s) avatar(s) pour influer sur le cadre de jeu et/ou la narration ou que le système privilégie nommément un aspect du jeu (narration, ambiance, simulation…).
Bien que ces reproches puissent sembler plus pertinents (car concernant des aspects fondamentaux), ils n’en restent pas moins fragiles. Il suffit d’observer une partie de jeu de rôle traditionnel pour se rendre compte qu’un joueur dispose et abuse déjà de ces prérogatives : le meneur de jeu. Pourquoi donc les autres joueurs devraient en être obligatoirement privés ? Modifier le degré de contrôle sur la partie ne change guère que le procédé, pas le contenu fictionnel.
A ce stade de mes réflexions (et selon des critères bien personnels), il me semble compliqué de laisser quiconque décréter « ce n’est pas du jeu de rôle » dans l’absolu, sur la base des récriminations évoquées ici. Déjà qu’il est difficile (voire impossible) de définir le jeu de rôle, j’ai beaucoup de mal à voir autre chose dans ces jugements que le rejet de pratiques qui ne correspondent pas à des critères purement personnels. Dans le cadre d’un concours, il est important de bien spécifier ses attentes pour limiter le sentiment d’arbitraire en cas de rejet ; pour le reste, un peu d’humilité et d’ouverture d’esprit devrait suffire.